Islamisme et obscurantisme: Ramses II, Bucaille et les traces de sel
Il y a quelque temps un collègue musulman m’a envoyé la vidéo suivante:
Il est intéressant d’examiner les affirmations faites dans cette vidéo, de les comparer avec les écrits de Maurice Bucaille et d’analyser ce que cela nous apprend sur le prosélytisme musulman moderne (ou pour ne pas généraliser, une certaine forme de prosélytisme pratiqué par certains musulmans).
(1) La vidéo identifie le président français ayant pris fonction en 1981 comme Francisco Mitra (sic). Ca ne nécessite pas vraiment de commentaire, mais cela montre d’emblée le niveau intellectuel de l’auteur de cette vidéo et plus généralement des personnes qui propagent ce type d’“information”.
(2) La vidéo prétend que Bucaille a examiné la momie pendant l’exercice du président socialiste sus-mentionné, que par la suite il a commencé à s’intéresser à l’islam et qu’il a alors publié son livre “The Bible, The Quran and Science”. Un premier problème est que la version française de ce livre date de 1976, mais ce n’est pas l’essentiel.
La vidéo essaie en fait de faire croire que Bucaille était un scientifique français chrétien “pure souche” qui a été sollicité sur base de ces compétences par les autorités égyptiennes (ou françaises selon les versions) pour examiner des momies et que cela a été le point de départ de son intérêt pour l’islam. A part le fait qu’il était chrétien, rien n’est moins vrai que cela. Premièrement, dans une interview Bucaille explique qu’il a commencé à s’intéresser à l’islam en discutant avec des patients et collègues. Deuxièmement, selon Wikipedia, il “a été nommé médecin de la famille du roi Fayçal d’Arabie saoudite” et que “certains membres de la famille du président Anouar el-Sadate d’Égypte [faisaient] partie de ses patients”. Il avait donc des contacts avec le pouvoir égyptien. Le fait qu’il a eu l’occasion de participer à l’examen des momies n’est probablement pas totalement étranger à cela. Troisièmement, dans son livre il dit ceci:
In June 1975, the Egyptian high authorities very kindly allowed me to examine the parts of the Paraoh’s body that had been covered until then. They also allowed me to take photographs.
Ca suggère que l’examen de la momie relève de sa propre initiative et donc qu’il avait un intérêt préexistant.
Ce type de distortion des faits est important pour le prosélytisme musulman (ou plus correctement un certain prosélytisme musulman) afin de maintenir le mythe que la science mènerait à l’islam. Comme il y a pas ou peu d’exemples de scientifiques de renom qui se sont convertis à l’islam en partant de la science, ce prosélytisme est obligé de fabriquer de toutes pièces ce type de récit (voir aussi la prétendue conversion à l’islam de Cousteau). En passant il tend aussi à exagérer l’importance des scientifiques en question. C’est ainsi qu’un site internet va jusquà dire que Bucaille serait devenu “the most renowned and cleverest surgeon ever in modern France”.
En passant, notons que Bucaille n’a jamais voulu répondre à la question s’il s’est converti à l’islam ou pas (voir l’interview cité ci-dessus).
(3) La première image de la vidéo identifie le pharaon en question comme Ramsès. Or, dans son livre, Bucaille défend la thèse selon laquelle le pharaon de l’exode (celui qui s’est noyé) n’était pas Ramsès II, mais Mérenptah, fils de Ramsès II.
(4) La vidéo explique que des restes de sel prétendument trouvés sur la momie fourniraient une preuve que la pharaon en question se serait noyé. Or, même sans consulter le livre de Bucaille on peut facilement se rendre compte que cette affirmation n’a ni queue ni tête. En effet, les restes de sel ne pourraient venir que de l’eau aspirée dans les poumons. Or, avec une teneur en sel de 30 à 40 grammes par litre pour l’eau de mer et un taux de NaCl dans le sang humain autour de neuf grammes par litre, il est peu probable que cette quantité de sel serait encore détectable après des milliers d’années et surtout après la procédure de momification qui elle-même utilise des sels. C’est certainement impossible sans destruction de la momie. De plus, on sait que les égyptiens enlevaient les organes internes pendant la procédure de momification.
En fait, le livre de Bucaille ne fait même pas mention de traces de sel1. Voici ce qu’il est dit concernant la cause de la mort de Mérenptah dans la traduction anglaise de son livre:
What may already be derived from this examination is the discovery of multiple lesions of the bones with broad lacunae, some of which may have been mortal although it is not yet possible to ascertain whether some of them occurred before or after the Pharaoh’s death. He most probably died either from drowning, according to the scriptural narrations, or from very violent shocks preceding the moment when he was drowned or both at once.
Il faut noter que la section en question ne mentionne aucun résultat d’analyse scientifique qui supporte la thèse de la noyade. La mention de noyade faite dans cette partie du livre se base exclusivement sur des textes religieux. Les résultats des analyses scientifiques ne font état que de fractures.
(5) Conscient de l’absence d’éléments matériels corroborant le récit du coran (et de l’incertitude concernant l’identité du pharaon de l’exode), Bucaille explique ceci:
When the Qur’an was transmitted to man by the Prophet, the bodies of all the Pharaohs who are today considered (rightly or wrongly) to have something to do with the Exodus were in their tombs of the Necropolis of Thebes, on the opposite side of the Nile from Luxor. At the time however, absolutely nothing was known of this fact, and it was not until the end of the Nineteenth century that they were discovered there. As the Qur’an states, the body of the Pharaoh of the Exodus was in fact rescued: whichever of the Pharaohs it was, visitors may see him in the Royal Mummies Room of the Egyptian Museum, Cairo.
Certains musulmans y voient une prédiction du coran sur le fait que le corps du pharaon englouti fut preservé à travers les temps et sera un temoignage pour les générations futures:
Nous allons aujourd’hui épargner ton corps, afin que tu deviennes un signe à tes successeurs. Cependant beaucoup de gens ne prêtent aucune attention à Nos signes (d’avertissement).
(Sourate 10, verset 92)
Or, il y a une erreur de logique dans le raisonnement de Bucaille. La question n’est pas si Mohamed a pu savoir que la momie du pharaon se trouvait à Thèbes, le verset du coran ne faisant mention d’aucun lieu. Même le fait que la momie a survécue jusqu’à nos jours n’est pas important, vu que dans cette interprétation du verset, il n’est fait aucune prédiction sur la durée de préservation. La seule question pertinente (si l’on suit cette interprétation) est de savoir si oui ou non Mohammed (ou la source dont Mohamed s’est inspirée) aurait pu être au courant que les égyptiens momifiaient leurs pharaons pour préserver leurs corps. Or, la momification était une pratique courante qui ne se limitait pas aux pharaons. On y momifiait même des chats. Il n’y a donc pas d’argument plausible pour répondre à cette question par la négative. En effet, personne n’a jamais affirmé que le fait que les égyptiens pratiquaient la momification serait une découverte récente.
Il est instructif d’examiner comment des exégètes musulmans ont interprété le verset reproduit ci-dessus. Citons la traduction anglaise du Tafsîr Al Jalalayn2:
But this day We shall save you, We shall bring you out of the sea, in your body, your lifeless corpse, that you may be, for those after you a sign, a lesson, that they might come to know your servitude and not venture upon deeds like yours. According to Ibn ‘Abbās, some of the Children of Israel doubted his death and so he was brought out [of the sea] for them to see. And truly most people, that is, the people of Mecca, are heedless of Our signs’, not learning the lesson therefrom.
L’interprétation avancée par certains musulmans est donc une réinterprétation a posteriori, comme les autres “miracles” du coran.
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Il semble que la source de cette histoire de traces de sel soit le roman (!) “La Perle et la braise” d’un certain Mohamed Messen. En tout cas, ce livre est cité comme source par certains sites islamo-obscurantistes. ↩